mercredi 18 mai 2016

Le Brigaudiot nouveau, notes de lecture (14) : Des enfants qui comprennent, apprennent, parlent et réfléchissent à propos de la fiction

2.2.D. Des enfants qui comprennent, apprennent, parlent et réfléchissent à propos de la fiction

La fiction est une notion que les enfants construisent lentement jusqu’à 10 ans, âge où ils pourront dire de quelque chose « c’est inventé ». On appellera fiction les mondes présentant un cadre, des éléments et des événements imaginés, actualisés dans l’ici et maintenant par du langage et/ou des actions ou des images. (…)
Il vaut mieux éviter le terme « vrai » quand on renvoie à une histoire de fiction. On peut utiliser les expressions « dans l’histoire » par opposition à « dans la vraie vie ».

Les trois sources qui alimentent cette notion de fiction sont, pour les enfants d’aujourd’hui :
- les jeux symboliques spontanés qu’ils inventent et auxquels ils participent avec d’autres,
- les dessins animés qu’ils regardent régulièrement,
- les histoires que les adultes leur racontent, avec un album et parfois sans.

° Les jeux symboliques
Formation      Les jeux symboliques chez les plus grands (4 à 6 ans)
On a vu les premiers jeux de faire-semblant qui permettaient à des enfants de 4 ans de faire semblant à partir d’objets qu’ils détournaient. Déjà à cet âge-là, ils vivent les événements imaginaires comme s’ils étaient réels, ils « sont dedans » mais savent qu’ils jouent.
Ils font la différence entre entités réelles et entités imaginaires. C’est ce qui va les conduire à « se dédoubler », inventant des jeux sans nécessairement avoir besoin d’accessoire.
On appellera ici jeux de rôle les scènes jouées spontanément par des enfants qui :
- endossent provisoirement la totalité des actes et ressentis d’un personnage,
- créent un cadre et des événements temporellement organisés,
- attribuent des rôles imaginaires à d’autres enfants qui doivent s’intégrer au scénario,
- verbalisent, en discours direct, les jeux théâtraux, et en discours indirect tout ce qui est « hors champ » : attribution des rôles, réglage des déplacements et des accessoires, « didascalies ».

(…) Au bout du compte, plus les enfants comprennent les événements du monde réel et entrent dans la rationalité, plus il est facile pour eux d’entrer dans la fiction et les mondes merveilleux.

Conseils
°A tous les niveaux,
- bien faire soi-même la différence entre réel et fiction : éviter les simulacres de type « la souris a mélangé les photos, il faudrait l’aider à les remettre dans l’ordre » …
-valoriser et encourager les jeux de rôle initiés par les enfants,
° en GS, leur donner la possibilité de se déguiser et d’inventer leur scénario.

° Les jeux symboliques

…surtout quand ces supports présentent :
- un contenu narratif identifiable (début, difficulté, résolution) et une durée adaptée à l’âge des enfants,
- du suspense, juste ce qu’il faut,
- des dialogues et/ou des narrations accessibles à leur compréhension,
- une fin supportable, de préférence heureuse.

Deux motivations de départ mobilisent les enfants.
La première réside dans le fait de retrouver des personnages familiers : ils les ont déjà fréquentés dans des livres, ils ont déjà vu le dessin animé, ils possèdent des figurines correspondant aux personnages de fiction (…)
La seconde motivation, chez les plus grands (après 4 ans) est le fait qu’il s’agisse de personnages fictifs dont le héros est « un gentil ».
Dans cette suite d’activités langagières « invisibles », les états mentaux des personnages sont décisifs.

Conseils

° TPS et PS
- après de nombreuses fréquentations de livres de type « séries », utiliser les films d’animation correspondants (tels Petit Ours Brun, Tchoupi) et parler ensuite avec les enfants
- leur demander de choisir les films qu’ils veulent et écouter leurs « arguments ».
° MS
- après une bonne connaissance d’un conte découvert dans un album (Boucle d’Or et les trois ours, les trois petits cochons, etc.) utiliser les films d’animation, sur ordinateur et tablette, et parler ensuite avec les enfants,
- évoquer les questions d’états mentaux pour aider à la compréhension,
- demander aux enfants, en question ouverte, s’il y a des choses qu’ils ne comprennent pas, et leur donner les réponses.
° GS
- sélectionner quelques films ou dessins animés pour l’année (Dumbo, Schrek, La prophétie des grenouilles, etc.) et ne pas hésiter à les montrer plusieurs fois,
- les présenter avant de les visionner et laisser ensuite les enfants réagir,
- discuter avec les enfants de ce qu’ils ont compris, pas compris et donner des réponses,
- une fois dans l’année, faire un détour explicatif au sujet des images « de la vraie vie » par opposition à celles des histoires inventées : regarder, par exemple, successivement, Microcosmos et Minuscule. Les documentaires sur les fourmis aideront les enfants à comprendre que dans tout dessin animé, il y a des emprunts au réel. C’est une entrée culturelle importante.

° Les histoires

Il s’agit ici d’explorer ce que les enfants mobilisent comme activités langagières à partir des histoires de fiction.
Il y a 2 utilisation de livres d’histoire à bien distinguer pour les maîtres :
- raconter ou lire et c’est tout. L’objectif « comprendre » est alors pris dans sa dimension totalement subjective. Les enfants (comme nous lorsque nous lisons un roman) en font ce qu’ils peuvent / veulent, c’est leur vie psychique qui le décide, nous n’avons pas à empiéter sur elle. (…) A l’école, on a appelé « moment de l’histoire » la plage de l’emploi du temps systématiquement dédiée à cette écoute.
- raconter (et/ou lire) un livre choisi auparavant pour en faire un support d’activités langagières ciblées. Le maître va accompagner la compréhension et l’exploration de l’histoire par différents moyens qu’on va présenter. L’objectif « comprendre » est alors pris dans sa dimension cognitive. Les enfants vont enrichir leurs connaissances et les réorganiser à l’occasion de ce travail.
(…) On dit « raconter » quand on parle une histoire avec des mots de tous les jours, en accompagnant les verbalisations de signalisations sur les illustrations. (…) Une autre modalité sans lecture consiste à raconter sans support entre les mains(…) C’est plus difficile pour eux mais ça leur apporte beaucoup.

Aider les enfants à mieux comprendre les histoires fictives est un enjeu important pour la suite de la scolarité, lors des lectures autonomes futures. On le sait, les enfants des milieux défavorisés ont toujours des difficultés dans ce domaine. L’école maternelle s’inscrit donc dans une première action qui va se poursuivre dans le temps.
Les obstacles à la compréhension sont : les références culturelles à des éléments du monde inconnus, les relations entre événements en terme de causalité opaque, les inférences puisque tout n’est jamais dit de manière exhaustive dans un récit

> TPS et PS
Pour apprivoiser les petits aux histoires de fiction, les auteurs choisissent souvent d’alléger la compréhension sur tous les plans que nous venons d’évoquer : les personnages « ressemblent » aux enfants destinataires de l’histoire (…). C’est pourquoi il m’est arrivé d’appeler ces histoires des fictions d’expérience personnelle.
TP Formation
Cherches des histoires très adaptées aux petits dans votre fonds de livres : ils évoquent le trio papa-maman-bébé, la perte-retrouvaille d’un parent, les exploits des petits, leurs jeux, leurs moments rituels de vie quotidienne, leurs bêtises, leurs peurs, leurs maladies, etc.
A ce niveau de la scolarité, l’attention conjointe est idéale : un enfant de chaque côté de l’enseignant qui parle un langage « ordinaire », nomme et montre les personnages, explique ce qui leur arrive, renvoie aux expériences personnelles des enfants. L’enseignant ne pose pas de questions aux enfants. Il ne cherche pas à obtenir certains énoncés ni certains mots. Il les laisse commenter eux-mêmes et rebondit sur leurs remarques. L’essentiel est d’être, à plusieurs, « la tête dans l’histoire ».
Formation      Le rappel de récit
Le seul moyen que nous possédons pour savoir un peu ce que les enfants « gardent » de ces histoires dans leurs têtes est de les proposer de les raconter à leur tour. Appelé « rappel de récit » par les cognitivistes, le fait de re-raconter induit des difficultés de verbalisation du récit alors que les capacités langagières sont encore balbutiantes. Les maîtres de TPS-PS peuvent donc le faire, à condition de tout accepter, puisqu’ils veulent non pas une restitution mais un essai narratif aussi modeste soit-il.
Quand on demande aux enfants de raconter à leur tour, ils sont nombreux à cet âge à se raconter l’histoire dans leur tête, sans parler. (…) Pour provoquer la verbalisation, on a inventé le jeu du livre à retrouver.
On choisit une série de livre (personnage identique) racontés maintes fois, on en montre 3 aux enfants, puis on leur demande de fermer les yeux pour bien écouter et montrer ensuite quel livre on a raconté. On précise bien leur activité : «  vous allez trouver quelle histoire je raconte seulement en entendant sans les images, on sait faire ça quand on est grand. » Au bout de quelques séances il est possible de proposer aux enfants, un par un, de « faire la maîtresse ». Tout le monde cache les yeux sauf l’enfant narrateur qui choisit et dit une histoire.

> MS
Les enfants étant plus grands, ils peuvent entrer dans des mondes fictionnels plus « éloignés » de ce qu’ils vivent. C’est l’âge où les contes traditionnels (ou leurs adaptations) commencent à être appréciés. Les enfants n’en comprendront pas tout et c’est bien normal. (…)
Des recherches montrent ce qu’apportent les interactions de plus en plus « distanciées » de ce qui est perçu sur le livre. (…) quand un adulte raconte Cendrillon à un enfant, il peut mobiliser différents niveaux d’abstraction, qui correspondent en quelque sorte à son adaptation à l’âge de l’enfant (…)
- en focalisant l’attention de l’enfant sur une image (…)
- en reliant l’objet représenté à d’autres (…)
- en incitant l’enfant à faire des inférences

Formation      Zones de travail pour la compréhension de l’histoire
(…) On définira la notion de personnage ainsi : élément « vivant » de la narration au sens où il parle et/ou ressent, ce qui lui attribue un rôle actif dans le schéma narratif. (…)
La maîtresse explique et fait le lien entre le statut de personnage de la galette, son caractère et l’illustration.
(…) obstacles de compréhension qui relèvent des connaissances du monde (ex la citrouille dans Cendrillon)
Tous ces exemples montrent l’importance de l’analyse préalable des histoires par le maître.
On voit donc que les états mentaux et les connaissances du monde sont les critères les plus importants pour anticiper les obstacles à la compréhension d’une histoire.

Lors d’une première présentation en MS, il faut commencer par expliquer aux enfants leur « travail » : « c’est une nouvelle histoire, je vais la raconter et vous montrer les images du livre, et vous, vous écoutez bien, vous faites l’histoire dans votre tête, et après vous direz ce que vous avez compris. »
S’agissant d’un récit oral, l’enseignant peut faire des détours de compréhension (…), montrer des objets (…), et bien sûr énormément paraphraser. Ce sont toutes ces verbalisations qui expliquent le fait que les enfants apprennent beaucoup de vocabulaire avec les histoires illustrées.
Dans les échanges qui suivent, l’enseignant se contente de préciser et/ou de rectifier de mauvaises compréhensions (étayage).
Les rappels de récit peuvent faire l’objet d’habitudes régulières. Le niveau de compréhension attendu est la mention des personnages, leur difficulté, l’événement principal et la fin. Il faut donc bien connaître ce schéma pour pouvoir écouter les enfants et interpréter leurs rappels. Il ne faut rien exiger, surtout pas l’ordre des scènes vues dans le livre car l’évocation de l’histoire est une activité langagière, elle est une reconfiguration mentale d’une fiction, pas un récit par cœur.
Et les rappels de récits sont mentionnés dans le « carnet de progrès » parce qu’ils sont des évaluations d’apprentissages importants.
L’habitude de la tâche dite de « remettre des images dans l’ordre » n’est pas sans poser problème. Avec l’objectif de mettre les enfants en langage, on peut aménager cette tâche de maintes façons : choisir quatre scènes (pertinentes) et demander à un enfant de raconter l’histoire en s’aidant de ces images, demander aux enfants ce que disent les personnages sur une scène particulière, raconter soi-même l’histoire connue, les enfants alignant les illustrations au fur et à mesure qu’ils entendent le récit, etc. Oui, la présence de l’enseignant est nécessaire dans de tels ateliers. C’est une habitude à prendre.
Autres pratiques à repenser : « l’exploitation d’un album » (…) Les albums sont des sources inépuisables d’activités cognitives et langagières pour les enfants, inutile de chercher d’autres « exploitations ».
Par ailleurs, les coins-bibliothèques doivent être bien pensés et on doit leur donner un statut (…). Dans la répartition des ateliers, certains enfants vont, chaque jour, dans cet endroit particulier qu’il faut valoriser : « là, vous faites un travail de grand, vous écoutez une histoire et vous essayez de bien la comprendre. » Ce n’est pas une simple occupation. C’est aussi l’année où ils peuvent démarrer les prêts de livres.
Enfin, c’est souvent au cours de la MS que se jouent les inégalités qui vont ensuite s’aggraver !! Les enfants prioritaires doivent donc être avec le maître, chaque jour, regroupés pour une activité langagière particulière, avec des livres notamment.

> GS
Même s’il est vrai qu’on peut raconter des histoires plus compliquées aux grands, on a souvent trop tendance à les choisir trop complexes.
En GS, on peut dire aux enfants que ce qui est intéressant dans une histoire est de toujours comprendre plus, et qu’on n’a jamais fini. Cette tension, volontaire, est un but de la GS. On sait que c’est gagné quand ils posent des questions. Les questions doivent venir des enfants, pas des maîtres. Car l’une des attitudes magistrales les plus discriminantes en défaveur des enfants prioritaires reste l’habitude des questions du maître. (…) Dans cette optique, les maîtres doivent abandonner les questions fermées portant sur des éléments du contenu de l’histoire (notamment questions en qui ? où ? qu’est-ce-que ? avec des verbes « dire », « faire », « être » pour les remplacer par des questionnements : ce sont des interrogations sur les activités cognitives des sujets enfants eux-mêmes. Le maître ne sait pas ce que les enfants vont répondre. (…°
Discuter de tout ça avec les enfants est une façon de leur faire prendre conscience de c’est le travail d’un écrivain. Il faut leur montrer que l’auteur, lui, a les réponses à ces questions, mais qu’il les laisse comprendre aux enfants qui entendent l’histoire.

Conseil

° A tous les niveaux,

Une entente d’équipe des maîtres est nécessaire pour assurer une progressivité des apprentissages chez les enfants. Elle dépend des choix des livres et des manières de faire des enseignants : on « apprivoise » les petits à la fiction avec des histoires proches de leurs vies, on aide les moyens à comprendre un minimum des histoires plus « lointaines », on met les grands en réflexion sur les tenants et les aboutissants de fictions plus complexes.

extraits de Langage et école maternelle, Mireille Brigaudiot, ed. Retz

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