dimanche 17 avril 2016

Le Brigaudiot nouveau, notes de lecture (6) : les chemins de l'oral

Chapitre 2. APPRENDRE : les chemins de l’oral

On rappelle que les enfants n’apprennent pas à parler pour apprendre à parler. Ils apprennent des choses du monde, des personnes, de la fiction et d’eux-mêmes en parlant avec des adultes.
Dans une interaction langagière entre un adulte et un jeune enfant, il y a toujours deux enjeux : le contenu (ce qu’il apprend grâce au langage) ET la forme (l’acquisition de la langue).

1.2.A. Comment et de quoi parlent les enfants de 2 à 6 ans

Pour bien travailler le langage à l’école maternelle, on est obligé de faire la différence entre acquisition du langage et apprentissage de la (ou des) langue première. Tout simplement parce qu’un enfant peut être à l’aise sur un plan et pas du tout sur l’autre et qu’il vaut mieux savoir l’interpréter.

1.2.A.1.  Le langage, le sujet et la langue

terme-clé du langage est le mot « activités » au pluriel.
« Carburant » du bébé : sécurité affective et langue qui lui est adressée
- la sécurité affective : (…) D’où le doigté nécessaire aux adultes qui s’occupent de lui afin de lui laisser juste ce qu’il faut de marge d’action pour se construire et partir explorer le monde : ni trop, ni pas assez de maternage, ni trop, ni pas assez de protection (…) Cela veut dire qu’en tant qu’enseignants, nous devons être 100% fiables, du point de vue des enfants.
- Notre approche de la langue est celle d’usages normés. C’est trompeur quand on travaille en maternelle parce qu’on a tendance à entendre, dans un énoncé d’enfant, ce qui ne va pas sur le plan linguistique (=de la langue) sans pouvoir interpréter l’énorme activité langagière (=du langage) qui soutient cet énoncé.

1.2.A.2.  Des repères dans les invariants de l’acquisition du langage

On appelle « invariants » (les régularités) que l’on retrouve dans la majorité des descriptions, quelle que soit la langue.
L’expression « l’oral » désigne à la fois une activité et son produit. L’activité est celle d’une conversation (…) le produit est un énoncé ou un groupe d’énoncés. On est dans l’énonciation au sens linguistique d’activités de sujets qui se parlent « en je ». L’oral du quotidien est une activité totalement non-consciente.
> AVANT 3 ANS

Dans le face à face
Connivence. La succession de séquences identiques fonde aussi chez lui les premiers repères temporels dans des scénarios connus de l’enfant.

Dans le côte à côte
L’enfant investit dès les premiers mois l’aspect symbolique du langage. Il construit du sens, il ne mobilise pas du sens « déjà là » pour étiqueter le monde. Cette précision a pour but d’abandonner une idée reçue selon laquelle les enfants commenceraient par apprendre systématiquement le nom des choses pour en dire quelque chose plus tard. (…) C’est le cas devant des imagiers qui permettent aux petits, non pas d’apprendre des mots nouveaux, mais de stabiliser ceux qu’ils connaissent déjà.
A ce propos, il y a une ambiguïté dans d’autres Programmes pour l’École maternelle lorsqu’on y a opposé « langage en situation » et « langage d’évocation ». Le langage est TOUJOURS symboliquement d’évocation, par définition. La situation, elle, renvoie au fait que des interlocuteurs sont en présence ou pas. Il est donc bon de différencier les conditions de productions (elles sont variées) et symbolisme mis en œuvre (toujours mobilisé).
Il faut être prudent lorsqu’on dit d’un enfant qu’il « ne fait pas de phrase ». La phrase canonique, avec tous ses éléments, est un fait de langue. Et effectivement c’est normal qu’un tout petit ne produise pas de « phrase ». En revanche, même avec deux mots, il parle, il est en langage puisqu’il symbolise : l’interprétation de « bateau cocole » et la paraphrase que vont lui renvoyer les adultes est « oui, tu avais fait du bateau avec Nicole ». Cet énoncé adulte déploie la pensée de l’enfant, en langue canonique. Il évoque.

> ENTRE 3 ET 5 ANS

Durant cette période les jeux symboliques occupent une place énorme

Pour comprendre la richesse d’un essai linguistique (…) il faut savoir que les enfants n’entendent pas de mots, comme nous. Ils entendent des énoncés (…). Ceux-ci leur servent à « découper » des unités qu’ils vont réemployer quand ils vont retrouver les mêmes contextes. (…) La transcription phonétique vise à montrer que l’enfant réemploie une chaîne sonore entendue, qui ressemble à celle qu’il vient d’entendre. Il sait très bien ce qu’il veut dire, il ne « se trompe » pas de mot, il est en train de l’isoler et pour l’instant le mot « boucle » se dit « boucle d’or »
A la fin de cette période, les marques d’énonciation étant acquises, les temps verbaux, les déterminants et les prépositions également, un enfant est compréhensible par n’importe quel adulte.
Nouveau registre symbolique : humour, gros mots : tout début du métalangage

> A PARTIR DE 5 ANS

Le progrès dans l’utilisation de la langue, presque comme les adultes, donnent de nouvelles possibilités à l’enfant dans le registre symbolique de récits complexes : il re-raconte des histoires entendues, il demande leurs re-lectures et il en invente. Tout en continuant à « jouer à être », il peut créer personnages et événements de fiction uniquement par le langage. Les jeux symboliques deviennent complexes (…) (ils) adorent les jeux à plusieurs et aiment gagner (…) ils savent dorénavant bien faire la différence entre jouer et travailler. (…) défendre son point de vue oralement c’est investir totalement le langage.  (…) Les phénomènes physiques les intéressent (…) la compréhension de la psychologie des personnes prend le premier plan, dans la vie réelle et dans la fiction.
Ces questions renvoient également au vocabulaire (…) c’est maintenant les mots précis que les enfants demandent
1.2.B. Variétés dans les chemins d’acquisition

les âges sont des « moyennes » dans les invariants
Au début du langage, (…) certains enfants :
- (…) très parleurs mais, pour l’instant, en baragouin
- parlent peu (…) peuvent parler très tard et tout de suite très bien
- deux langues
- plus complexe est la situation d’un enfant plus de 4 ans, très peu parleur ou mutique, avec des parents non-francophones (…) Quand il arrive dans le groupe-classe, le maître doit le présenter aux enfants et leur expliquer à quel point il est difficile de vivre dans un lieu où tout le monde parle beaucoup dans une langue qu’on ne comprend pas du tout. Il faut que les enfants de la classe l’invitent à participer à leurs jeux.
Les bons indices d’appropriation du français par cet enfant seront :
     - le fait d’imiter un voisin puis de montrer un résultat au maître,
     - l’utilisation du non-verbal,
     - la production d’un seul mot en français, mais qui résume toute une situation,
     - la répétition de la fin des énoncés qu’il vient d’entendre,
     - sa participation aux chants et comptines dits en collectif.

1.2.C. Les adultes dont les enfants ont besoin

Maîtres, quel que soit votre niveau de classe, soyez naturels. Ce côté naturel englobe :
-       la bienveillance
-       l’usage d’un français oral « normal » qui ne soit ni trop relâché (« c’est qui qui fait la date aujourd’hui ? ») ni trop soutenu (« pouvez-vous me dire pourquoi nous sommes si peu nombreux ? »).
Il y a cependant une différence fondamentale entre un parent et un maître. Ce dernier réagit consciemment et volontairement aux comportements des enfants. (…)
Formation Comment aider les enfants pour l’oral
> En TPS et PS
- instaurer de la connivence, en veillant à respecter les scénarios qui vont permettre aux enfants d’anticiper les choses, scénarios des moments successifs d’une journée, scénarios dans les coins-jeux, scénarios des livres feuilletés et commentés, etc.
- alterner le face à face et l’attention conjointe,
- rebondir oralement sur tous les essais linguistiques des enfants.

> En MS
- multiplier les moments d’activités symboliques dans de la fiction : jeux de faire semblant, histoires, comptines et chansons, et jouer avec le langage en le « détournant »,
- rebondir oralement sur tous les essais linguistiques en leur expliquant la valeur de ces essais, en leur donnant une image positive de leur statut de sujet qui progresse,
- écouter 100 fois plus les enfants prioritaires et rebondir sur leurs productions plus souvent que sur celles des autres.

> En GS
- garder des coins-jeux et instaurer quotidiennement un atelier de jeux à plusieurs en associant grands parleurs et petits parleurs,
- rebondir oralement sur leurs propos en les paraphrasant, et en ajoutant des prolongements, des explications, des définitions,
- souligner verbalement l’importance des relations des enfants dans le groupe et valoriser leurs progrès,
- répondre à leur curiosité et leur permettre de discuter à plusieurs.

On aura vu l’importance du langage du maître à tous les niveaux. (…) La condition première est, pour le maître, une écoute exceptionnelle.
En entendant un énoncé d’enfant, le professionnel qu’est l’enseignant peut l’interpréter en terme de zone de l’oral à reprendre : soit c’est un usage de la langue (souvent assimilé à syntaxe et grammaire, on peut dire la forme de l’énoncé, soit c’est une question de notion lexicale (souvent assimilé à vocabulaire, on peut dire le contenu de l’énoncé).

Si c’est l’usage de la langue qui est à travailler, deux manières de réagir sont considérées comme plus efficaces que d’autres par les recherches :
° en reprenant l’énoncé de l’enfant mais avec la « bonne forme » et en montant l’intonation sur l’élément modifié. (…)
On appelle ça le feed-back par contraste
° en reprenant l’énoncé de l’enfant mais en le commençant par l’élément qui pose problème (…) on appelle ça le feed-back par focalisation

Si c’est une notion lexicale qui est à travailler, le maître doit déployer tout ce qu’il peut comme moyens pour éclaircir la notion et la stabiliser :
° en reprenant l’énoncé de l’enfant mais en y ajoutant un supplément d’information en reprenant l’énoncé de l’enfant (pratiquement une définition)
° en utilisant les procédés de comparaison et opposition (…) Il y a ici plus qu’une définition. Il y a construction de la notion avec verbalisation de ce qui est semblable et de ce qui est différent de l’autre notion. (…) Dans les recherches, on appelle ça le feed-back par extension

Les recherches soulignent également les techniques contre-productives pour l’oral : mentions négatives jouant sur l’affect (…) utilisation du registre « méta » alors que l’activité orale est non-consciente (« il faut dire », « répète », « comment ça s’appelle »), suremploi des questions fermées (« qu’est-ce que c’est ? où il est ? quand est-ce qu’on ? » …).

Récapitulons

La relation langagière duelle adulte-enfant est, de loin, le noyau dur de la pratique d’un maître qui vise l’acquisition de la langue et de ses usages. Le plus souvent, l’initiative venant de l’enfant, le maître intervient dans la ZPA, avec une interaction adaptée.
Attention ! Interagir avec un enfant ne vaut pas dire, qu’à l’école, un maître doit parler individuellement avec chacun des enfants et tous les enfants successivement (…) le maître qui s’adresse à un enfant le fait devant nombre d’autres enfants. Ceux-ci en profitent (…) notion d’enfants prioritaires (…)
Toujours en relation duelle, il arrive au maître d’entendre un enfant qui vient de dire quelque chose qu’il interprète comme la trace d’une connaissance « pas encore là ». A ce moment, il apporte tout simplement cette connaissance à l’enfant. Il enseigne en amont de la ZPA. Cette manière d’interagir est absolument décisive en milieu défavorisé, il ne faut pas s’en priver.

extraits de Langage et école maternelle, Mireille Brigaudiot, ed. Retz

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