samedi 25 janvier 2014

Le pouvoir des noms

"Je crois au pouvoir des noms, au fait qu'ils sont porteurs de sens et que leur signification, évidente ou latente, finit par déteindre sur le caractère ou l'histoire de la personne.
Dans la petite rue qui se trouve face à l'immeuble de triple B se trouvait autrefois une charcuterie dont le propriétaire se nommait, comme on pouvait le lire en anglaises d'or sur la marquise écarlate, Jean Meurdesoif. Le jour où j'ai fait cette découverte, j'étais dans un état d'exaltation insensé; il fallait que j'en parle à tout le monde. Mais tout le monde s'en fichait, les gens trouvaient ça normal. "Oui, ça arrive souvent", répondaient les adultes blasés.
Une perfection pareille, une adéquation si pure entre patronyme et fiction, entre baptême et destin, ça arrivait souvent ? Je m'étonnais de leur absence d'étonnement, tout en commençant à entrevoir qu'il existait un rapport de nécessité entre le nom et la chose, le nom et la personne. J'allais, moi aussi, devoir renoncer à la surprise. Jean Meurdesoif vendait de la charcuterie, M. Lavoix chantait, Mme Dorsal était ostéopathe.
Déjà, en deuxième classe de maternelle, ma maîtresse s'appelait Mme Bessis. Je pensais qu'on l'écrivait B-6 et je ne me lassais pas de cette coïncidence - mais en était-ce vraiment une ? Cette dame très belle et très gentille, dont le nom se composait d'une lettre et d'un chiffre, allait nous initier à la lecture et au calcul. On l'avait peut-être choisie exprès, ou alors elle avait changé de nom, comme Norma Jean Baker devenue Marylin Monroe. Je croyais moins à la seconde hypothèse. Mme Bessis était la meilleure maîtresse au monde parce qu'elle portait, dans son nom, et, à force, dans sa chair, deux symboles du savoir que nous étions censés acquérir.
Je ne savais trop comment m'expliquer, en revanche, le fait que la maîtresse de la classe supérieure se nommait Mme Verdier. Pour moi, Verdier, c'était comme vert, un nom de couleur, c'était donc une enseignante spécialisée en coloriage. Comment pouvait-on considérer le coloriage comme plus sophistiqué que les lettres et les chiffres ?
Heureusement pour moi, on décida que j'étais mûre pour la grande école et on me fit sauter cette étape inutile (je maîtrisais parfaitement les pastels).
En arrivant au CP, je découvris avec stupéfaction que mon institutrice se nommait Mme Asséo, que j'orthographiai mentalement A-C-O. Des lettres, uniquement des lettres; plus de chiffres. Etais-ce déjà la fin de l'arithmétique ? Avait-on décidé de m'orienter précocement en filière littéraire ?
J'appris très vite à lire. "Bobi trotte dans le jardin", fastoche. "Daniel enfile un chandail", plus coriace, surtout quand, à la maison, le vêtement que Daniel arbore sur l'illustration s'appelle un pull. Parallèlement, mes talents mathématiques se racornirent. J'attendis longtemps d'être secouru par une Mme Trente-cinq ou unM. Dodécaèdre. En vain."
Agnès Desarthe, Le remplaçant., ed. de l'Olivier

mercredi 1 janvier 2014

Bonne Année 2014 !

En attendant la rentrée, je prends soin du blé et des lentilles qui ont bien tenu : en 2014, à nous la prospérité, au moins pédagogique, et je l'espère pour tous mes lecteurs et lectrices,  même ceux qui ne laissent jamais de commentaires !
;-)