vendredi 14 août 2009

Lecture : Chagrin d'école, 1

"-Cinquante-cinq minutes de français, expliquais-je à mes élèves, c'est une petite heure avec sa naissance, son milieu et sa fin, une vie entière, en somme.
Cause toujours, auraient-ils pu me répondre, une vie de littérature qui ouvre sur une vie de mathématiques, laquelle donne sur une pleine existence d'histoire, qui vous propulse sans raison dans une autre vie, anglaise celle-là, ou allemande, ou chimique, ou musicale...Ca en fait des réincarnations en une seule journée ! Et sans aucune logique ! C'est Alice au pays des merveilles, votre emploi du temps : on prend le thé chez le lièvre de mars et on se retrouve sans transition à jouer au croquet avec la reine de cœur. Une journée passée dans le shaker de Lewis Caroll, le merveilleux en moins, vous parlez d'une gymnastique ! Et ça se donne des allures de rigueur, par dessus le marché, une absolue pagaille taillée comme un jardin à la française, bosquet de cinquante-cinq minutes par bosquet de cinquante-cinq minutes. Il n'y a guère que la journée d'un psychanalyste ou le salami du charcutier pour être découpés en tranche aussi égales. Et ça toutes les semaines de l'année ! Le hasard sans la surprise, un comble !

Chagrin d'école, Daniel Pennac, folio, p129

1 commentaire:

  1. Salut

    je découvre ce nouvel espace d'expression avec beaucoup de plaisir.

    Cet extrait sonne juste. ça me rappelle mes journées au Lycée ... une perte de sens totale suite à 4 années passées dans un collège de réputation "difficile" durant lesquelles je me suis éclaté! Pourquoi? Et bien tout simplement parce que le Principal (professeur de français, grec, latin) donnait du sens à tout ce que nous vivions dans son établissement. Il était omniprésent : venait en classe de français nous parler de Molière, faisait en sorte que nous jouions le Bourgeois gentilhomme dans les jardins du château de Versailles (mon premier contact avec un public japonais!), nous faisait confiance pour monter des clubs hors temps scolaire (astronomie, photo, théâtre, calligraphie, géographie, physique,biologie...), intervenait en cours d'histoire pour nous parler de Cordoue ou Grenade, etc. etc. Cet homme à l'autorité naturelle savait mettre en valeur les cultures d'origine de chaque élève (15 ans passés au Maroc facilitent l'interculturalisme!)point d'anonymat donc...
    L'équipe pédagogique entière semblait mobilisée autour de son projet. Je me rappelle le club lecture au CDI animé par un professeur agrégé d'Arabe. Une merveille! un enchantement! Ce n'était pas lire juste pour lire. C'était lire pour voyager, lire pour comprendre l'autre, le monde.
    J'ai appris, il y a une quinzaine d'années, qu'il était même parvenu à faire bâtir dans l'enceinte du nouveau collège un amphithéâtre pour que les élèves puissent y jouer leurs pièces. Cet homme, aujourd'hui disparu, reste dans nos mémoires. Il nous a donné le goût d'apprendre, le goût des autres.

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